Règles d'évaluation des incidences d'un projet sur l'environnement : décision de la Cour de Justice de l'Union Européenne du 25 mai 2023 C-575/21

On ne répétera jamais assez que le droit de l’environnement en France découle principalement du droit européen.Par un arrêt C-575/21 du 25 mai 2023, la Cour de Justice de l’Union vient de nouveau d’en faire la démonstration sur au moins 5 points en interprétant la directive 2011/92/UE.
En premier lieu, la Cour impose désormais aux autorités environnementales des Etats de l’Union d’être indépendantes et impartiales, et non plus seulement d’être autonomes comme la Cour le précisait dans son arrêt Department of the Environment for Northern Ireland, contre Seaport (NI) Ltd, du 20 octobre 2011, C474/10.

La séparation fonctionnelle ne suffit plus, la théorie de l’apparence devrait faire rejaillir des décisions d’annulation d’acte administratif étatique.

La jurisprudence française issue du décret n° 2106-519 du 28 avril 2016 tendant à écarter systématiquement le moyen du défaut d’autonomie au détriment de la légalité européenne afin d’éviter les annulations en cascade des décisions prises au nom de l’Etat français, et principalement des déclarations d’utilité publique, a dû souci à se faire.

En deuxième lieu, la Cour précise dans son arrêt du 25 mai 2023, que l’obligation de réaliser une évaluation des incidences environnementales d’un projet d’aménagement urbain ne peut pas dépendre exclusivement de sa taille.La taille du projet n’est plus qu’un élément parmi d’autres.

L’examen au cas par cas devient la norme, les catégories de projet issues des codes européens de l’environnement des Etats membres définies uniquement selon la taille prennent du plomb dans l’aile. La marge d’appréciation des Etats est clairement limitée par l’obligation générale, prévue à l’article 2, paragraphe 1, de cette directive, imposant de soumettre à une évaluation de leurs incidences les projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement en raison de leur nature, de leurs dimensions ou de leur localisation.

Même si la Cour change de vocabulaire sans explication en utilisant le mot de « taille » au lieu de « dimension » (CJUE 3ème chambre 24 mars 2011 C435/09), la Cour de Justice rappelle cette interprétation large des directives européennes depuis l’arrêt du 21 septembre 1999, Commission/Irlande, C-392/96, Rec. p. I-5901, points 65 à 67.

Toutefois, cette jurisprudence européenne constante ne sera appliquée par les juges français que près de 22 ans après dans un arrêt du Conseil d’État, 15 avril 2021, n° 425424, puis codifiée à l’article R 122-2-1 du code de l’environnement par un décret n° 2022-422 du 25 mars 2022.

Il en résulte que même un projet de faible envergure peut avoir des incidences notables sur l’environnement lorsqu’il est situé dans un endroit comprenant les facteurs d’environnement décrits à l’article 3 de cette directive.

En troisième lieu, l’Avocat Général Colins précise que les travaux d’aménagement urbain au sens de ladite directive comprennent les travaux d’amélioration d’extension, de démolition de structures existantes et qu’il n’y a aucune raison de supposer que les incidences sur l’environnement de travaux d’aménagement urbain réalisés dans des zones urbaines sont faibles ou inexistantes.

En quatrième lieu, la Cour précise que la décision adoptée à l’issue de cette procédure d’examen de l’évaluation environnementale doit être mise à la disposition du public et doit pouvoir faire l’objet d’un recours selon la condition d’atteinte et d’intérêt à agir prévue par le droit national, y compris contre une décision d’autorisation (voir, en ce sens, arrêt du 16 avril 2015, Gruber, C570/13, EU:C:2015:231, point 44). La Cour rappelle que le recours ne doit aucunement limiter les moyens qui peuvent être invoqués à l’appui d’un tel recours.Cette considération répond en effet à l’objectif poursuivi par cette disposition de garantir un large accès à la justice dans le domaine de la protection de l’environnement.Ce rappel interroge quant à la conventionnalité de l’article R600-5 du code de l’urbanisme issu du décret 2019/303 du 10 avril 2019 lors de débats relatifs à l’évaluation environnementale d’un projet d’aménagement urbain puisque cet article accentue un processus anti-requérant de cristallisation des moyens.

En cinquième lieu, la Cour de Justice rappelle qu’imposer une évaluation environnementale uniquement au stade des permis de construire de travaux individuels constituant une partie d’un projet de travaux d’aménagement plus vaste, revient à méconnaître les articles 5 à 10 de la directive précitée.

Il en résulte que l’inopérance exposée souvent en défense concernant le moyen tiré de la soumission à évaluation environnementale du projet de création d’un lotissement ou d’une zone d’aménagement concerté ne tient clairement pas.

Non seulement comme le rappelle l’Avocat Général, il peut être nécessaire de prendre en considération les effets cumulatifs de projets, mais « le caractère préalable d’une telle évaluation se justifie par la nécessité que, dans le processus de décision, l’autorité compétente tienne compte le plus tôt possible des incidences sur l’environnement de tous les processus techniques de planification et de décision afin d’éviter, dès l’origine, la création de pollutions ou de nuisances plutôt que de combattre ultérieurement leurs effets ».