Formalisme devant le juge de l'expropriation, un contentieux dépoussiéré mais pas encore 2.0.

L’excès de formalisme à la française est inconventionnel. C’est en ce sens que la procédure d’appel a été sanctionnée par un arrêt récent de la Cour européenne des droits de l’Homme du 9 juin 2022, Xavier LUCAS c. FRANCE, n° 15567/20 : « la Cour rappelle toutefois que les tribunaux doivent éviter, dans l’application des règles de procédure, un excès de formalisme qui porterait atteinte à l’équité du procès. Or, elle considère, dans les circonstances de l’espèce, que les conséquences concrètes qui s’attachent au raisonnement ainsi tenu apparaissent particulièrement rigoureuses. En faisant prévaloir le principe de l’obligation de communiquer par voie électronique pour saisir la cour d’appel sans prendre en compte les obstacles pratiques auxquels s’était heurté le requérant pour la respecter, la Cour de cassation a fait preuve d’un formalisme que la garantie de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice n’imposait pas et qui doit, dès lors, être regardé comme excessif. »

Il résulte en effet de l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales

que les justiciables ne peuvent se voir imposer une charge disproportionnée qui rompt le juste équilibre entre, d’une part, le souci légitime d’assurer le respect des conditions formelles pour saisir les juridictions et d’autre part le droit d’accès au juge.

A n’en pas douter, la matière d’expropriation, contentieux très spécifique, n’est pas exempte d’une fessée européenne. Il semble toutefois que les réformes procédurales, en vigueur depuis le 1 er janvier 2020, permettent d’éloigner un tel risque et rapprochent le contentieux de l’expropriation du contentieux civil de droit commun.

Tout d’abord, les parties sont désormais tenues de constituer avocat devant le juge de l’expropriation, toutes instances confondues, en application de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 et le décret du 11 décembre 2019.

Tel n’est toutefois pas le cas pour l’Etat, les régions, les départements, les communes et leurs établissements publics qui peuvent se faire assister ou représenter par un fonctionnaire ou un agent de leur administration.

Ensuite, compte tenu de cette constitution d’avocat obligatoire, la Cour de Cassation a dû se pencher sur la postulation, c’est-à-dire la règle imposant de prendre attache auprès d’un avocat inscrit dans un des barreaux de la Cour d’appel saisie.

Il résulte de l’avis de la 2ème chambre civile de la Cour de cassation du 6 mai 2021 n° 21-70004, que le juge de l’expropriation est une juridiction d’attribution distincte du tribunal judiciaire selon l’article L 261-1 du code de l’organisation judiciaire, de sorte que les règles de la postulation ne s’appliquent pas en première instance. En revanche, la postulation pour l’expropriation est obligatoire en appel.

Enfin, s’agissant de la transmission des actes de procédure en matière d’expropriation via le réseau privé virtuel des avocats (RPVA),

auparavant seuls les actes de procédure, à l’instar de la déclaration d’appel ou de l’acte de constitution, pouvaient être transmis via RPVA.

Les conclusions de l’appelant ou de l’intimé devaient impérativement être déposées au greffe ou notifiées par lettre recommandée avec accusé de réception conformément à l’article R. 311-26 du code de l’expropriation. Depuis le décret du 11 décembre 2019, selon l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 20 mai 2021, n° 20-04460, « les avocats peuvent donc transmettre leurs conclusions à la cour d’appel via le RPVA dans le contentieux de l’indemnisation de l’expropriation en appel ». Ils le peuvent désormais mais peuvent aussi garder leurs habitudes papier, y compris manifestement en cas de représentation de l’Etat.

Il n’y a donc pas d’obligation de recourir au RPVA en matière d’expropriation selon la Cour d’appel de Paris, dans l’attente d’un éventuel autre avis de la Cour de cassation. Il est fort probable que ces mauvaises habitudes papier seront prochainement interdites.

En attendant l’exclusivité du RPVA, la Cour d’appel précise pour les parties bien souvent non représentées par un avocat que « s’agissant des commissaires de gouvernements qui n’ont pas accès au RPVA et ne sont pas visés par l’arrêté susvisé, ils doivent établir leurs actes sur support papier et les remettre au greffe ou les lui adresser par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, dans le délai fixé par alinéa 4 de l’article R3’26 du code de l’expropriation et les actes de procédure des autres parties doivent leur être notifiés, aucun texte spécial n’organisant leur situation » et que « si l’Etat, les régions, les départements, les communes et leurs établissements publics décident de ne pas constituer avocat et de ne pas recourir à un avocat postulant dans le ressort de la cour d’appel ils n’ont pas accès au RPVA qui est interconnecté avec le réseau privé virtuel de la cour d’appel (RPVJ) »

La voie électronique par le biais de la plateforme PLEX ou RPVA n’a pas encore le monopole de transmission des actes aux juridictions mais elle grapille inéluctablement du terrain en matière d’expropriation.