Consistance du bien exproprié, notion de terrain à bâtir et indemnité de clôture : Cour d’Appel de Bordeaux du 30 juin 2022, n° 21/04489

L’arrêt de la Chambre expropriations de la Cour d’Appel de Bordeaux du 30 juin 2022, n° 21/04489 est intéressant à trois égards. Cette décision récente rappelle, d’une part, la date de référence pour déterminer la consistance des biens, exclut, d’autre part, la qualification de terrain à bâtir pour une parcelle à usage de voie de circulation et écarte, enfin, toute indemnisation au titre d’un préjudice hypothétique de clôture pour stationnement sauvage après transfert de propriété. 

S’agissant tout d’abord de la consistance des biens...

L’article L322-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, précise que « Le juge fixe le montant des indemnités d’après la consistance des biens à la date de l’ordonnance portant transfert de propriété » Au cas d’espèce, la parcelle expropriée se présente comme un rectangle de grande longueur et de faible largeur et constitue une portion de l’allée de l’Europe, voie revêtue, à double sens, desservant une zone commerciale. L’ordonnance d’expropriation n’avait toutefois pas encore été prise.

Il arrive que l’ordonnance de transfert de propriété, laquelle est opérée, à défaut de cession amiable, par voie d’ordonnance du juge de l’expropriation en application de l’article L220-1 dudit code, ne soit rendue et notifiée que tardivement, parfois même après le jugement fixant les indemnités d’expropriation. La Cour de cassation a déjà indiqué que si le transfert de propriété ne peut être opérée sans notification de l’ordonnance d’expropriation, la notification tardive de l’ordonnance d’expropriation, eu égard à la date de sa signature mais également par rapport à la déclaration d’utilité publique, est sans effet sur la légalité de cette décision (Cass. 3e Civ., 5 décembre 2007, pourvoi n° 06-70.003, Bull. 2007, II, n° 224).

Il restait ainsi à la Cour d’Appel de Bordeaux de déterminer si, en application des dispositions de l’article L322-1 précité, il convient ou non de se placer à la date du jugement fixant l’indemnité pour apprécier la consistance des biens expropriés dans l’hypothèse où, comme en l’espèce, l’ordonnance d’expropriation n’a pas encore été rendue. La question se posait légitimement dans la mesure où seule « l’ordonnance d’expropriation éteint, par elle-même et à sa date, tous droits réels ou personnels existant sur les immeubles expropriés » en application de l’article L222-2 du code de l’expropriation, de sorte qu’apprécier la consistance des biens avant même tout transfert de propriété peut apparaître contraire à l’article L322-1 précité.
La Cour d’appel a néanmoins répondu favorablement en décidant de fixer le montant de l’indemnité d’après la consistance des biens sans attendre le transfert de propriété. Pour ce faire, la Cour d’Appel s’est appuyée sur un arrêt ancien et manifestement isolé de la Cour de Cassation portant sur la dégradation d’un local commercial laissé à l’abandon à la suite du départ d’un locataire (Cass. III civ.11 octobre 1977, n° 76-70.306).

Une autre solution eût été d’ordonner un sursis à statuer dans l’attente de la prise de l’ordonnance d’expropriation pour apprécier la consistance du bien. Mais sans délai impératif fixé par le code pour prendre l’ordonnance, choisir cette solution aurait pu aboutir à un délai de jugement fixant l’indemnité considérablement allongé. En fonction de l’évolution de la consistance du bien, l’expropriant peut ainsi, grâce à cette position de la Cour d’Appel, être tenté par une stratégie de report de la date de l’ordonnance d’expropriation sans qu’aucune sanction ne puisse l’inquiéter.

Certes, la notification tardive de l’ordonnance fait peser un risque tardif d’annulation de la procédure, y compris d’annulation de la fixation de l’indemnité, mais le risque demeure mesuré eu égard à l’unique voie de recours, le pourvoi, et aux arguments limités à l’incompétence, excès de pouvoir ou vice de forme en application de l’article L223-1 dudit code.

S’agissant de la qualification de terrain à bâtir...

La Cour d’Appel a tout d’abord rappelé la date de référence pour la qualification de terrain à bâtir : cette qualification « est réservée aux terrains qui, un an avant l’ouverture de l’enquête prévue à l’article L 1 ou, dans les cas prévus à l’article L 122-4, un an avant la déclaration d’utilité publique », quelle que soit leur utilisation, remplissent deux critères alternatifs en application de l’article L322-3 du code de l’expropriation ».

Il s’agit soit de terrains « 1° situés dans un secteur désigné comme constructible par un plan d’occupation des sols, un plan local d’urbanisme, un document d’urbanisme en tenant lieu ou par une carte communale, ou bien, en l’absence d’un tel document, situés dans une partie actuellement urbanisée d’une commune ; » Soit de terrains « 2° effectivement desservies par une voie d’accès, un réseau électrique, un réseau d’eau potable et, dans la mesure où les règles relatives à l’urbanisme et à la santé publique l’exigent pour construire sur ces terrains, un réseau d’assainissement, à condition que ces divers réseaux soient situés à proximité immédiate des terrains en cause et soient de dimensions adaptées à la capacité de construction de ces terrains. Lorsqu’il s’agit de terrains situés dans une zone désignée par un plan d’occupation des sols, un plan local d’urbanisme, un document d’urbanisme en tenant lieu ou par une carte communale, comme devant faire l’objet d’une opération d’aménagement d’ensemble, la dimension de ces réseaux est appréciée au regard de l’ensemble de la zone.

Les terrains qui, à la date de référence indiquée au premier alinéa, ne répondent pas à ces conditions sont évalués en fonction de leur seul usage effectif, conformément à l’article L322-2. » Au cas d’espèce, la Cour d’Appel de Bordeaux a succinctement et fermement écarté la qualité de terrains à bâtir au motif que la parcelle est sans intérêt pratique puisqu’elle est de fait, inconstructible, la parcelle pour être déjà à usage de voie de circulation. Il semblerait que la Cour d’Appel n’ait retenu que le premier critère et n’ait pas interprété littéralement l’article L322-3 du code de l’expropriation lequel n’exclut aucun terrain à bâtir en fonction de « son utilisation ». Faut-il y voir une distinction entre usage et utilisation ? Toujours est-il que la Cour d’Appel de Bordeaux écarte toute qualification de terrain à bâtir aux terrains à usage de voie de circulation, sans distinguer explicitement la circulation publique ou privée, et ainsi ne tient pas compte de l’unité foncière constituée par la parcelle litigieuse et celle dont elle est détachée.

Enfin, la Cour d’Appel de Bordeaux met en lumière un troisième point rigoureusement écarté, celui l’indemnité de clôture...

Ce préjudice matériel issu de l’article L321-1 du code de l’expropriation est souvent oublié par les expropriés. Cet oubli risque de se transformer en abandon à la lecture de cet arrêt eu égard au caractère hypothétique d’un stationnement sauvage retenu par la Cour : « la crainte exprimée par l’expropriée d’un stationnement sauvage qui pourrait se développer sur le reste de sa propriété reste hypothétique et ne peut-être liée à l’expropriation qui, pour l’essentiel, a pour objet de transférer à la collectivité une parcelle à usage de voie déjà ouverte à la circulation publique ».

En dépit de l’unité foncière découpée en deux par cette expropriation réalisée en vue de la création d’une ZAC, la parcelle expropriée a usage de circulation ne peut à elle-seule générer une indemnité au titre du préjudice matériel futur découlant du risque d’un stationnement sauvage sur la parcelle non expropriée. Il résulte de cet arrêt que la consistance de la parcelle sera appréciée même sans ordonnance d’expropriation et que l’usage de voie de circulation de la parcelle expropriée exclut rigoureusement à la fois la qualification de terrain à bâtir et l’indemnisation au titre de la nécessité de clôture le terrain pour éviter un stationnement sur la parcelle contiguë restant la propriété de l’exproprié.

Honoraires

A l’issue d’un premier rendez-vous, l’avocat associé du Cabinet Cornille-Fouchet-Manetti enverra une lettre de mission contenant le montant des honoraires fixes correspondant aux diligences à accomplir pour la procédure administrative et judiciaire ainsi que des honoraires de résultat portant uniquement sur la plus-value obtenue par la voie transactionnelle ou judiciaire à partir de la proposition initiale de l’expropriant.